Episode Transcript
[00:00:01] Speaker A: Elles font l'espace avec Jules Grandsire.
[00:00:05] Speaker B: Vous vous souvenez peut-être de ce moment où l'Europe spatiale ne pouvait plus décoller. Dans cet extrait de l'épisode 7, Lucia Linares revient sur cette période de turbulence et sur la manière dont elle a vécu de l'intérieur.
[00:00:22] Speaker C: Il y a eu un moment étrange ces dernières années où il y a eu un décalage entre la fin d'Ariane 5 et le début d'Ariane 6. Et malheureusement, dans cette période-là, sur le deuxième lanceur de l'ESA qui s'appelle Vega C, on a eu aussi un accident. Ce qui fait qu'en gros, l'Europe a été clouée au sol pendant une période. Toi, comment tu l'as ressenti personnellement, cette phase ?
[00:00:52] Speaker A: Je l'ai ressenti au premier niveau parce que, bien sûr, on est avec les équipes à voir comment, à la fin, on est du transport spatial, donc on sert des missions de l'ESA, de l'Union européenne, des États membres, pour voir comment on pouvait donner accès avec d'autres fusées, même celles américaines. Donc, c'était d'abord très pragmatique. Voyons comment est-ce qu'il y a des missions qui ont besoin d'être lancées pendant qu'on n'a pas cet accès à l'espace, puisque Ariane 5 s'est arrêtée en juillet 2023. C'était son dernier vol et on avait du retard avec Ariane 6. Et comme tu le disais, on a eu un échec avec Vegas-C au deuxième vol, donc au vol commercial. On a tiré le premier vol comme il fallait. Puis après, on a eu un échec. Donc d'abord, comment on donne accès et comment on réachemine certaines missions pour lesquelles le vol, pendant une période donnée, est essentiel vers d'autres lanceurs. Il faut être pragmatique. Mais ensuite, c'est vrai qu'il fallait expliquer. On se doit d'expliquer où est-ce qu'on est. Il y avait Ariane 5, Ariane 6. Il y a aussi, à part Vegas, le fait que Soyouz, et quand même, je veux me souvenir que j'ai été En 2003, je me suis beaucoup occupée des négociations, des accords avec la Russie pour amener Soyouz au CSG, au port spatial de l'Europe. Et malheureusement, après la guerre de la Russie en Ukraine, en février 2022, du jour au lendemain, cette coopération s'est arrêtée.
[00:02:25] Speaker C: Oui, parce qu'une solution de repli, ça aurait pu être effectivement Soyouz, la troisième possibilité. Mais l'invasion de la Russie, pardon, de.
[00:02:35] Speaker A: L'Ukraine par la Russie, a empêché finalement.
[00:02:39] Speaker C: Qu'On puisse avoir recours à Soyouz. D'ailleurs, ça a signifié que tous les Russes qui vivaient finalement en Guyane française, qui travaillaient sur le port spatial, sont rentrés plus ou moins du jour au lendemain en Russie, ont quitté la Guyane.
[00:02:55] Speaker A: Oui. Alors, à tel point Soyouz était essentiel pour l'Europe que le premier lancement de Soyouz était un Galileo et que Galileo devait continuer d'être lancé par Soyouz le temps qu'Ariens 6 deviendrait opérationnel.
[00:03:11] Speaker C: Galileo, c'est le système de navigation européen.
[00:03:13] Speaker A: Oui. Et donc, je dois dire que ça a été une très belle coopération avec la Russie. Vraiment. Et tous ces Russes qui étaient sur place à Sina Marie, en Guyane française, ils étaient vraiment dévoués. Je me rappelle comment on est arrivé à ces accords, comment on est allé sur place, voir comment avancer les travaux. Donc, c'est un petit pincement au cœur, mais quand même.
Soyouz n'étant plus disponible, ayant un retard avec Ariane 6, Vegas-C qui devait retourner en vol. On se devait d'expliquer aussi au public pourquoi on était là, qu'est-ce qu'on faisait pour reprendre la main là-dessus, pour redonner l'accès européen à l'espace. Donc, à part le travail en arrière boutique, je dois dire toutes les équipes qui travaillent nuit et jour, et c'est vraiment nuit et jour, et pas qu'à l'ESA, mais partout dans l'industrie, ce travail d'expliquer même si, bien sûr, la presse était là pour poser les questions comme il se doit. Donc, je pense que j'ai vécu ces deux côtés en tant que porte-parole et en tant que membre d'une équipe qui doit porter de l'avant le travail.
C'était, je veux dire, on se doit de le faire, mais par moments, c'est vrai que c'était dur. C'était dur.
[00:04:30] Speaker C: C'était dur et j'imagine qu'il y avait aussi toute une forme d'angoisse un peu collective parce que c'est pas comme si on savait que ça allait durer un an ou que ça allait durer six mois. C'est qu'en permanence, il y avait cette incertitude de quand on allait vraiment pouvoir lancer Ariane 6.
[00:04:48] Speaker A: Alors là-dessus, je dois dire qu'il y a eu un groupe de travail qui a été mis en place par notre directeur général, M. H. Bachin, avec l'industrie, l'Agence spatiale française, Arianespace, donc Ariane Group, Arianespace, le CNES, ELESA, qui a suivi au plus haut niveau le planning et le planning n'a pas bougé.
Pendant de longs mois, on a dit quand on allait lancer et on a lancé le 9 juillet. Et donc, c'est vrai qu'à un moment donné, quand on a un grand objectif, si tout le monde se met autour de cet objectif de façon régulière, on y arrive. Et je dois dire que ce planning, il a été tenu, heureusement. Après, maintenant, il faut continuer. Le travail n'est pas fini.
[00:05:31] Speaker C: Bien sûr. Et qu'est-ce que ça a impliqué pour toi cette période ? Parce que tu parles de représentation. Cette période, elle a été spéciale pour toi. De quelle manière, finalement ?
[00:05:44] Speaker A: Sur la partie de la représentation, elle a été spéciale parce que en tant que porte-parole, vraiment, c'est un privilège, mais c'est aussi un grand stress. On est là avec...
C'est comme ça, je le vis comme ça, parce que je... En tant que porte-parole, on porte la parole de tous ces gens qui travaillent derrière.
[00:06:02] Speaker C: Oui.
[00:06:03] Speaker A: Et donc, quand on est avec des journalistes, qu'on soit en Guyane pendant deux jours, quand on a verticalisé l'étage, ou après pour le lancement, c'est en permanence pour expliquer pourquoi on est là.
Toute question qui peut venir, il faut y répondre. Et il faut y répondre de façon honnête, transparente, et en respectant tous les gens qui travaillent derrière.
Voilà, jusqu'au 9 juillet et encore le lendemain, je l'ai vécu avec beaucoup d'enthousiasme, bien sûr, beaucoup d'énergie, mais aussi pas mal de stress, c'est normal.
[00:06:39] Speaker C: Ce travail avec les journalistes, avec le monde extérieur, finalement, pour toi qui est une juriste, qui ensuite a appris ta carrière ou a développé ta carrière au sein de l'agence spatiale, c'est quelque chose que tu appréhendes comment, finalement ?
[00:06:55] Speaker A: Je l'appréhende, comme je disais, avec beaucoup de respect et j'essaye de prendre un peu de recul et de voir comment est-ce que ces messages, qui pour nous, peut-être sont très clairs, parce qu'on y travaille au jour le jour, mais dans le guidon, peuvent arriver au travers des journalistes au grand public. Et donc, c'est toujours ce respect pour le grand public et pour expliquer au plus clair possible des messages qui, en soi, sont parfois assez compliqués.
[00:07:26] Speaker C: Oui, quand on travaille avec des choses techniques, c'est toujours compliqué d'expliquer. Peut-être que, justement, d'avoir des enfants, ça te permet de t'entraîner à utiliser des mots simples ou d'expliquer des idées compliquées, parce qu'il y a la complexité technique, mais il y a aussi la complexité politique.
[00:07:45] Speaker A: Oui, du tissu industriel, des rôles de chacun. C'est vrai que, surtout avec Ariane 6, beaucoup de choses passaient sur les médias. Donc, j'avais pas mal de questions de mon fils, qui a 14 ans, ma fille 11 ans. Donc, il posait beaucoup de questions. Donc, j'ai essayé de leur expliquer. C'est un bon entraînement parce qu'il pose plein de questions qui semblent très simples, mais en fait, sont très compliquées.
Genre quoi ?
[00:08:10] Speaker C: C'est quoi la question la plus... Par.
[00:08:12] Speaker A: Exemple, c'est vrai qu'ils n'arrivent pas à comprendre comment ça se fait. Il y a l'ESA, il n'y a rien de groupe, il n'y a rien d'espace. Il y a l'Agence spatiale française. Qui fait quoi ? Pourquoi tellement de gens ? Qui est responsable ?
[00:08:24] Speaker C: In fine... Et ça, c'est difficile à expliquer avec des mots simples ?
[00:08:30] Speaker A: Pas ça. Mais bon, c'est vrai qu'il faut expliquer pourquoi. Je pense le plus important, c'est expliquer pourquoi. Toujours dans la vie.
[00:08:36] Speaker C: Pourquoi tu dirais alors ?
[00:08:38] Speaker A: Pourquoi il y a eu un rôle ? Je veux dire, pourquoi il y a une agence spatiale française et les arts dans ce rôle Ariane 6, au-delà du fait que le CNES est aussi contractant pour le sol ? Il y a un rôle historique prépondérant dans Ariane et c'est grâce à l'agence spatiale française qu'on est aujourd'hui ici aussi quand même. Il faut regarder en arrière depuis Ariane 1. Donc ce pourquoi, il faut l'expliquer aussi au travers de l'industrie. On a Ariane Espaces qui s'occupe des opérations, on a Ariane Groupes qui est un prime, mais tout un tissu industriel derrière. Donc, expliquer ça avec des mots simples et courts, parce qu'au-delà de 30 secondes, ce devient un peu lassant pour les enfants.
[00:09:21] Speaker C: Bien sûr. Et donc, on a compris cette période un petit peu difficile, un petit peu compliquée.
Elle a pris fin l'été dernier avec le lancement d'Ariane 6, le premier lancement d'Ariane 6. Comment tu l'as vécu, finalement, cette journée ?
[00:09:38] Speaker A: C'était très intense. À savoir, moi, j'ai choisi de ne pas être à Jupiter, qui est le centre où on suit le lancement avec toutes les commandes. C'est très impressionnant. J'ai choisi d'être sur le site extérieur.
[00:09:51] Speaker C: À Kourou.
[00:09:52] Speaker A: En effet, j'étais à Kourou avec les journalistes pendant quatre jours et je l'ai suivi de ce point de vue extérieur.
on est au milieu de la jungle. Donc déjà, il y a un contraste entre la partie Amazon, très humide, très, comment dire, dans le vert, dans la nature, et le plus haut niveau technologique qui soit, qu'on est dans un port spatial avec des lanceurs, Ariane, Vega, les différents sites. Donc il y a déjà tout ce contraste.
C'est fascinant. Et ensuite, le jour J, on est sur place, on a fait un briefing, on ne sait pas si la chronologie va suivre jusqu'au bout. On sait qu'il y a une période où on ne peut plus aller en arrière. Et là, on voit qu'on l'a dépassé et on entend le décompte.
Et je dois dire, on regardait, j'avais les jambes qui tremblaient. Et donc, c'était... Mais on a vu Ariane 6 majestueuse, beaucoup plus qu'Ariane 5, en tant qu'elle est plus svelte. Donc, c'était très beau à voir. Et c'était un grand moment que je n'oublierai jamais, je pense.
avec les interviews aux astronautes, en deuxième. Mais pour moi, Ariane 6, c'était un grand moment, parce que j'avais vu Ariane 4, Ariane 5, mais c'était le projet qui a vu la lumière en 2014, qu'on a porté au ministre, à une réunion ministérielle, et que je voyais décoller... 10 ans plus tard. 10 ans plus tard, en effet.
[00:11:22] Speaker B: Si cet extrait vous a donné envie d'en entendre plus, l'épisode complet vous attend sur toutes les plateformes de podcast et sur YouTube.