Episode Transcript
[00:00:01] Speaker A: Elles font l'espace avec Jules Grandcyre.
[00:00:05] Speaker B: Aujourd'hui, je vous propose un petit saut dans le temps. On replonge dans l'épisode 3 avec Claudia Nuret qui nous raconte comment elle a été sélectionnée pour devenir astronaute et ce que ça change de vivre à la Cité des Étoiles, en Russie.
Et donc tu parlais de cette sélection en 85, c'est là que tu as donc candidaté pour la première fois. T'en as des souvenirs de cette sélection ? Qu'est-ce qui te revient comme image quand tu évoques ce passage ?
[00:00:42] Speaker A: J'ai tendance, je le dis dès maintenant parce que ça va se reproduire, à ne garder que les bons souvenirs.
[00:00:47] Speaker B: C'est très bien.
[00:00:48] Speaker A: Je suis quelqu'un qui a oublié tous les mauvais souvenirs. Il n'y a pas eu de mauvais souvenirs, il n'y a que des bons souvenirs. C'était le souvenir de passer d'un hôpital militaire à un autre. C'était quand même une sélection bien managée par les militaires.
et où on passait des épreuves de toutes sortes. Alors des épreuves effectivement, un screening médical complet. Alors bon, je ne vais quand même pas vous dire que la colioscopie, c'est la meilleure partie de plaisir que j'ai jamais vécu, mais bon, ça fait partie de ce qu'on examine. Ensuite, vous aviez des tests physique, pour voir votre condition physique. Et moi, au-delà d'être médecin, chromatologue, je suis aussi traumatosportif, enfin tout ce qui... Et je suis une sportive de compétition au départ, donc voir comment fonctionne le corps et jusqu'où il peut aller, quels sont ses limites, c'est quelque chose qui m'intéressait. Donc, ça m'intéressait de voir comment j'allais réagir.
à un test en centrifugeuse, à une chambre de décompression ou au tabouret tournant. J'avais envie de me tester et de voir comment je pouvais performer, si on peut utiliser ce mot-là, pendant la sélection. Donc, ça me plaisait.
[00:01:53] Speaker B: Et le tabou retournant, il y a un astronaute de ta génération dont je tairai le nom, avec qui je parlais un jour et je lui disais Michel Tonini m'a dit, Claudie, elle est incroyablement forte au tabou retournant et lui, pas du tout. C'est vrai ou pas ?
[00:02:07] Speaker A: Je suis plutôt résistante, effectivement, et je les agaçais, mes collègues masculins.
[00:02:13] Speaker B: D'accord.
[00:02:14] Speaker A: Parce que j'étais effectivement complètement assistante à tout mal des transports qu'on peut ressentir sur le tabouret tournant. Et pour moi, c'était un plaisir d'y aller, alors que pour eux, c'était un cauchemar.
[00:02:24] Speaker B: Mais ça, ce n'est pas dangereux de ne pas réagir au mal des transports. Le mal des transports, c'est un réflexe normal du corps, non ?
[00:02:32] Speaker A: C'est un réflexe, mais un réflexe justement pour lequel une sélection ou un entraînement va vous permettre de trouver les mécanismes de compensation et d'arriver à ne pas le ressentir. Et donc voilà, moi, c'était inné.
ne pas être incommodé par les perturbations sensorielles, effectivement, des différents organes qui vous permettent de vous repérer dans l'espace, sur un tabouret tournant, quand on vous fait bouger la tête, bien évidemment, ça met un peu un branle-bas parfois difficile à contrôler.
[00:03:04] Speaker B: Donc ce tabouret tournant, juste pour expliquer pour ceux qui ne connaissent pas, on est installé sur une chaise qui tourne.
[00:03:11] Speaker A: Une chaise qui tourne et pendant la rotation, on vous demande de faire des inclinaisons de la tête et donc vous stimulez à la fois dans l'appareil vestibulaire, ce qu'on appelle les canaux semi-circulaires qui vous permettent d'avoir les la perception des accélérations. Et comme vous inclinez la tête, vous faites travailler aussi votre système otolithique. Les otolithes, c'est le petit capteur qui permet de déterminer la verticalité et non pas la rotation. Et donc, vous entrez dans un système complètement conflictuel avec les yeux fermés ou les yeux ouverts. Les yeux fermés, ça vous enlève encore un élément de repère.
[00:03:53] Speaker B: Et qu'est-ce qui se passe normalement ?
[00:03:55] Speaker A: Ça déclenche ce que vous pouvez appeler le mal des transports, le mal de mer, le mal de l'espace. Et en le travaillant, on peut réussir à atténuer les symptômes, contrôlant sa respiration, se relaxant, ça se contrôle. Mais ce n'est pas le meilleur moment pour la plupart des candidats aux détestations de nos temps vol.
[00:04:17] Speaker B: Ça veut dire que toi, tu n'es pas non plus sensible au mal des transports en voiture ou en bateau ?
[00:04:23] Speaker A: Non, je suis la bonne personne à emmener en bateau. C'est moi qui peux écoper et faire la soupe alors qu'il y a la tempête.
[00:04:29] Speaker B: Le jour où j'ai un bateau, je sais qui appeler. Je suis là. Et donc du coup, dans l'espace, tu n'as pas non plus souffert de ce mal ?
[00:04:35] Speaker A: Non, pas du tout. Alors, je ne vais pas dire qu'on est complètement opérationnel en arrivant en microgravité.
parce que vous partez, vous êtes terrien avec des repères de terriens et vous arrivez dans un environnement en trois dimensions. Donc, sur le plan cognitif et sur le plan de l'organisation, de sa façon de marcher, de ressentir, de se positionner, c'est un petit peu perturbant.
Et puis, il n'y a plus de gradient de pression hydrostatique puisqu'on est en absence de gravité, donc le sang ne pèse plus rien. Donc, il y a une redistribution des fluides vers la partie supérieure du corps. En général, sur Terre, c'est plutôt vers le bas du corps. Heureusement, on a une pompe cardiaque qui nous permet de faire circuler ça dans toutes les directions. Mais là, il y a un afflux sanguin vers le haut de la tête. Donc, les premières 24 heures, vous êtes à la fois un peu désorienté Et puis, un peu la tête, cochon pondu. Mais ça, j'ai trouvé qu'on avait une capacité d'adaptation de notre corps tout à fait impressionnante. Et en 24 heures, je me sentais tout à fait bien.
[00:05:41] Speaker B: Opérationnel.
[00:05:42] Speaker A: Opérationnel, adapté à ce nouvel environnement de trois dimensions. Peut-être encore quelques petits dérapages. On ne contrôle pas tout à fait le mouvement pour aller d'un point à l'autre de la station. Mais c'est venu très vite.
Et ma seconde mission, puisque j'ai eu la chance de voler deux fois, dès l'arrivée en microgravité, je me suis retrouvé complètement dans mon élément, sans passer par la phase d'adaptation. Ça, c'était assez plaisant.
[00:06:06] Speaker B: Ça, c'est incroyable.
Et donc, pour revenir à la sélection, OK, donc le tabou retournant, ces exercices physiques...
[00:06:12] Speaker A: La centrifugeuse, les caissons... Et puis, des tests psychologiques, à la fois psychotechniques pour voir votre agilité intellectuelle et opérationnelle pour manipuler des chiffres ou des sollicitations. Et puis, de la psychologie de groupe, parce que bien évidemment, vous allez d'une part être amené à vous expatrier, à découvrir des cultures différentes dans votre entraînement, et puis vous allez travailler en équipage surtout, et donc il faut se sentir à l'aise de s'intégrer dans un équipage où il y a de la diversité de genres, bien évidemment, Pas toujours, le pourcentage de femmes est encore un peu insuffisant, bien évidemment. Mais de la diversité de cultures, il y a des militaires, il y a des civils, il y a des ingénieurs, il y a des pilotes, il y a des chercheurs de toutes capacités. Et puis culturel, parce que c'est une station internationale et qu'on travaille en coopération internationale. Donc cette importance de la capacité à s'intégrer avec sa différence, en apportant quelque chose à un collectif qui doit réussir une mission. Et c'était intéressant pendant les phases de sélection.
[00:07:24] Speaker B: Et réussir une mission, ça veut dire aussi résoudre des problèmes. Comment résoudre des problèmes à deux, à trois, à quatre, à cinq ?
[00:07:30] Speaker A: Absolument. C'est pour ça que j'ai employé le mot d'intelligence collective. C'est arriver à trouver ensemble des solutions qu'on n'aurait peut-être abordées que partiellement si on avait été seul. Et donc, on s'enrichit là aussi de la diversité.
des compétences, de la façon de penser. Et je pense que la diversité de genre est un élément tout aussi important que la diversité des compétences de culture, de génération aussi. Les astronautes première mission, les rookies de l'espace. Et puis, les astronautes qui sont des vétérans, qui ont déjà 4 vols, 5 vols, 6 vols, donc ils arrivent avec une expérience qui n'est pas la même. Mais pour moi, chaque fois, cette diversité a été quelque chose de formidable. J'essaie un peu dans la vie de tous les jours, dans toutes les autres carrières que j'ai pu avoir, en dehors de celle d'astronaute, de maintenir. C'est important.
[00:08:19] Speaker B: Et tu parles de tes deux missions, donc de 85 de la sélection. Ta première mission, c'était en 96. Oui.
[00:08:27] Speaker A: À bord de Mir.
[00:08:27] Speaker B: À bord de Mir. Et donc sur un vol Soyuz, Soyuz-Mir. Quand on vole sur Soyuz pour aller sur Mir, ça veut dire entraînement à la Cité des Étoiles.
[00:08:39] Speaker A: J'ai passé dix ans de ma vie en Russie. Cité des étoiles à 40 kilomètres de Moscou. C'est effectivement le lieu d'entraînement, la cité des entraînements. Et puis ensuite, le pacte tiers, il est au Kazakhstan, à Baïkonour. On y va quelques fois pendant l'entraînement et puis 15 jours avant la mission pour tout mettre au point avant le décollage.
[00:09:01] Speaker B: Ces deux lieux absolument mythiques et à l'ambiance unique, j'ai envie de dire, que ce soit la Cité des Étoiles ou Baïkonour, moi personnellement à chaque fois que j'y suis allé, malheureusement aujourd'hui l'accès est plus compliqué, mais ce sont des endroits vraiment chargés à la fois d'histoire et d'une culture Je sais pas, tu vas me dire ce que t'en penses, mais j'ai même pas l'impression que c'est une culture fondamentalement russe, mais une culture complètement étrangère, unique peut-être. Qu'est-ce que tu dirais ?
[00:09:33] Speaker A: Alors, cet endroit est effectivement très marqué par toutes les phases de la conquête spatiale du vol habité russe. Vous arrivez, il y a des statues de Gagarine partout. Gagarine est l'idole de ce lieu et c'est important, on le retrouve partout. Mais il y avait encore, quand j'y suis arrivé, moi je suis arrivé à l'entraînement en 92, Et on habitait au même endroit que les cosmonautes russes, il n'y avait pas beaucoup d'autres nationalités que des russes et des français, de la coopération franco-russe à cette époque-là. Mais j'avais la chance de vivre dans le même immeuble que Valentina Tereshkova ou que Alexei Leonov.
non seulement c'était un lieu où ils étaient passés, mais je vivais avec eux. C'était la porte d'à côté. Elle était ouverte pour aller prendre un thé ou demander un conseil ou demander une aide à un moment donné. Donc, c'est mythique aussi pour ça. C'est des endroits où on a l'impression d'entrer dans quelque chose qui est au-delà du réel. Moi, j'ai vraiment eu ce sentiment au départ. Après, on s'habitue, on prend ses repères, on est complètement engagé dans l'entraînement. Donc là, c'est des successions de cours, d'examens, de simulateurs, bien évidemment. Mais il y a eu aussi toute cette période absolument formidable à vivre entre 92, où je suis arrivé, Et 2001, qui était ma dernière mission, j'ai passé près de dix ans en Russie, c'était aussi cette ouverture à la coopération internationale. En 92, juste après l'Union soviétique, on peut imaginer que c'est Propusk pour entrer, Volga Noir, commissaire politique, tout était là et les micros partout. C'était l'atmosphère de 92. Et puis, l'arrivée des Européens, tu le sais bien, les premiers vols Euromir qui se sont passés, l'arrivée des Américains avec le shuttle qui venait s'amarrer à la station Mir, quand même, des objets à 28 000 km heure en orbite qui ont fait un amarrage réussi, c'était quelque chose d'assez extraordinaire.
Et puis, la décision de faire ensemble la Station spatiale internationale. Petit à petit, l'ouverture à d'autres nationalités japonaises, les Canadiens et bien sûr les Américains. C'était aussi une aventure humaine. Toujours avec très peu de femmes, pour revenir au sujet du podcast.
[00:12:08] Speaker B: Oui, parce qu'on a cette image qui est, tu vas me le dire peut-être juste, de la culture soviétique ou la culture russe comme une culture quand même assez macho, ou en tout cas dominée encore plus par les hommes. Mais je ne sais pas si c'est ton impression aussi.
[00:12:25] Speaker A: Pas tout à fait, parce qu'il y avait quand même, en particulier sur les sujets scientifiques et sujets médicaux, beaucoup, beaucoup de femmes à des postes de grande responsabilité. Oui.
Et puis, des femmes ingénieurs dans les équipes opérationnelles à Kaliningrad, qui est le centre de contrôle des missions spatiales, qui avaient des postes tout à fait importants.
Donc non, il y avait des femmes en Russie. Pas parmi les astronautes, ça par contre.
[00:12:51] Speaker B: Pas parmi les astronautes. Par choix ou c'était... Peut-être quand même.
[00:12:57] Speaker A: Un petit peu macho.
je pense, sur l'image de l'astronaute qui était encore imprégné de cette culture de Gagarin, de Leonov, des pionniers. C'était quand même les pionniers de la conquête spatiale, pas les pionnières. Les pionniers.
[00:13:17] Speaker B: Et même si Valentina Tereshkova faisait partie de ce premier groupe sélectionné, finalement, C'est.
[00:13:23] Speaker A: Probablement un petit peu de la philosophie soviétique, à l'époque, de montrer son avancée.
[00:13:29] Speaker B: Et c'est vrai, quand tu évoques Gagarine, ça, c'est vraiment frappant. À la Cité des Étoiles, Gagarine est partout, dans tous les bâtiments orange. La première chose qu'on voit, c'est un portrait très idéalisé de Gagarine.
[00:13:42] Speaker A: Avec le sourire.
[00:13:42] Speaker B: Avec le sourire, bien sûr.
[00:13:45] Speaker A: Cette image de l'homme simple et qui a accompli quelque chose qu'on pensait impensable, inatteignable.
[00:13:57] Speaker B: C'est une époque à laquelle tu repenses souvent avec joie, avec nostalgie, avec ces dix ans un petit peu hors du temps, comme ça, à Star City.
[00:14:08] Speaker A: Alors, j'y repense avec nostalgie à cause de la période actuelle, parce que moi, j'y ai vécu vraiment une famille et une fraternité. Et donc, ça, c'est compliqué à vivre aujourd'hui parce que les communications ne sont pas faciles. On ne peut pas y aller. C'est difficile de parler parce qu'il n'y a pas tout à fait cette liberté d'exprimer les choses.
Mais pour moi, c'est une famille. Oui, j'ai vécu dix ans dans la grande famille des cosmonautes, comme on dit en Russie. Et c'était de très belles périodes d'amitié, de solidarité, de coopération.
d'entente, même dans des situations complexes, parce qu'il faut imaginer quand même, vous avez des équipes d'ingénieurs, des équipes opérationnelles qui ont une culture française ou une culture soviétique, pour arriver à écrire ensemble des procédures, signer des protocoles, c'est quand même un apprentissage qui prend du temps et où la confiance se constitue. Et avec le temps, parce qu'on a eu la chance de vivre longtemps là-bas, cette confiance, elle était là et c'est quelque chose qui ne s'efface pas, en tout cas.
[00:15:17] Speaker B: Si cet extrait vous a donné envie d'en entendre plus, l'épisode complet vous attend sur toutes les plateformes de podcast et sur Youtube.